Le Nutri-Score s’est imposé comme l’une des politiques alimentaires les plus débattues en Europe, à la fois outil prometteur pour la santé publique et source de fortes controverses politiques et commerciales. En 2025, ce logo nutritionnel coloriel se trouve à un tournant, son avenir au sein de l’Union européenne restant incertain malgré des années de développement et de validation scientifique.
Qu’est-ce que le Nutri-Score ?

Le Nutri-Score est un logo nutritionnel en face avant, à cinq niveaux, allant du A vert foncé au E rouge, qui indique la qualité nutritionnelle globale des denrées préemballées. Le système a été créé par Santé publique France, sur la base des travaux du Pr Serge Hercberg (Université Sorbonne Paris Nord). Le logo attribue une lettre, de A (meilleur) à E (moins bon), associée à une couleur du vert au rouge.
L’algorithme du Nutri-Score calcule un score par 100 g ou 100 ml en opposant les nutriments et aliments à favoriser (protéines, fibres, fruits, légumes, légumineuses, fruits à coque, huiles de colza, de noix et d’olive) à ceux à limiter (énergie, acides gras saturés, sucres, sel). Cette méthode de calcul est dérivée du système de profilage nutritionnel de la Food Standards Agency du Royaume-Uni (score FSA).
La « révolution » algorithmique 2024-2025
Mises à jour majeures
Un jalon a été franchi en 2024 lorsque sept pays européens ont adopté un algorithme mis à jour, entré en vigueur le 1er janvier 2024. Cette version est l’aboutissement de travaux menés depuis 2021 par le Comité scientifique pour mieux aligner le logo sur les recommandations alimentaires des pays impliqués.
L’algorithme actualisé durcit les notations pour le sucre, le sel, les édulcorants et les teneurs faibles en fibres, tandis qu’un taux élevé de protéines est mieux valorisé. Il améliore la classification des boissons et crée une catégorie spécifique pour les fruits à coque et les huiles.
Calendrier de mise en œuvre par pays
Le déploiement s’est fait de manière échelonnée :
- Allemagne, Belgique, Suisse et Pays-Bas : algorithme mis à jour en vigueur le 1er janvier 2024
- Luxembourg : mise en œuvre le 5 mars 2024
- France : nouvel algorithme appliqué le 16 mars 2025
Les entreprises bénéficient d’un délai transitoire jusqu’au 31 décembre 2025 pour appliquer les nouveaux calculs.
Améliorations clés de l’algorithme

La révision 2024 a ciblé plusieurs domaines critiques relevés par le Comité scientifique:
Boissons : tous les produits potables sont notés avec l’algorithme « boissons ». Le lait, les boissons lactées et les boissons végétales sont désormais évalués via cet algorithme dédié plutôt que celui des aliments solides. L’eau reste la seule boisson pouvant obtenir un Nutri-Score A.
Céréales complètes et fibres : meilleure discrimination entre produits riches en fibres et raffinés, ces derniers recevant des notes en moyenne moins favorables.
Huiles et matières grasses : les huiles végétales riches en acides gras insaturés favorables sont mieux notées, avec une discrimination accrue au sein de cette catégorie.
Produits carnés : la viande blanche et ses produits sont mieux notés que les alternatives à base de viande rouge, en cohérence avec les recommandations actuelles.
Sucre et sel : notation plus sévère pour les teneurs comparativement élevées en sucres et en sel, alignée sur les recommandations générales.
Niveau d’adoption en Europe
Pays ayant une adoption officielle

En 2025, huit pays ont officiellement adopté le Nutri-Score :
- France (2017) - pays d’origine
- Belgique (formellement depuis le 2 avril 2019)
- Espagne (2018)
- Allemagne (2020)
- Luxembourg (2020)
- Pays-Bas (2021)
- Suisse (2019)
- Romania (2025) - dernier pays à l’avoir adopté, sur base volontaire
Ces pays sont regroupés sous l’acronyme « COEN » (Countries Officially Engaged in the Nutri-Score).
Adoption volontaire par l’industrie
Plusieurs pays sans aval gouvernemental officiel connaissent une adoption volontaire par des entreprises :
- Portugal et Slovénie : Nutri-Score utilisé par des acteurs comme Nestlé, Auchan, Danone
- Autriche : adoption volontaire par certaines entreprises
- Ukraine : Silpo, deuxième chaîne de supermarchés du pays, a adopté le Nutri-Score pour sa MDD
Participation des entreprises
À l’été 2025, près de 1 000 entreprises et environ 1 420 marques sont enregistrées, et les inscriptions continuent d’augmenter. Les entreprises s’engagent à étiqueter l’ensemble des produits d’une marque enregistrée dans un délai de deux ans (trois ans à titre exceptionnel).
Paysage réglementaire de l’Union européenne
La promesse « De la ferme à la table »
La Commission européenne s’était engagée, dans sa stratégie « De la ferme à la table », à proposer d’ici 2023 un étiquetage nutritionnel harmonisé et obligatoire en face avant au niveau de l’UE. L’échéance n’a pas été tenue, et l’avenir d’un étiquetage obligatoire reste incertain.
Statut juridique actuel
Selon le règlement (UE) n° 1169/2011 (règlement INCO), l’étiquetage nutritionnel en face avant n’est pas obligatoire mais peut être fourni volontairement. Les États membres ne peuvent pas imposer un système national propre, en raison du droit de l’UE ; ils peuvent seulement émettre des recommandations.
L’abandon du mandat européen
En mars 2025, des informations ont indiqué que la Commission européenne avait renoncé à rendre obligatoire un système d’étiquetage en face avant basé sur le Nutri-Score dans les 27 États membres. Des documents divulgués par l’ONG Foodwatch montrent que Wolfgang Burtscher, directeur général à la DG AGRI, a assuré que toute proposition future « ne copiera aucun système existant »
Cette décision marque un revirement politique significatif. Le porte-parole de la Commission a refusé de confirmer l’abandon du projet de Nutri-Score obligatoire sans pour autant réaffirmer son soutien.
L’offensive italienne

Stratégie d’amendement constitutionnel
L’Italie mène l’opposition la plus structurée, proposant un amendement constitutionnel pour protéger les « produits qui symbolisent l’identité nationale ». Porté par le député Tommaso Foti, le texte stipule : « La République garantit une alimentation saine à ses citoyens. À cette fin, elle poursuit le principe de souveraineté alimentaire et protège les produits qui symbolisent l’identité nationale ».
Inquiétudes sur les aliments traditionnels
Rome estime que le Nutri-Score discrimine des aliments emblématiques comme l’huile d’olive, le jambon de Parme ou le Parmigiano Reggiano. L’huile d’olive vierge extra obtient un D (orange), notation jugée trompeuse au regard de ses bénéfices reconnus.
Lobbying et influence politique
La documentation disponible montre l’ampleur du lobbying. Du 4 au 28 octobre 2022, des délégations italiennes ont multiplié les rencontres avec des responsables européens, notamment avec la fédération patronale Federalimentare.
Des comptes rendus indiquent que « en Italie, le gouvernement, l’industrie et les agriculteurs sont tous opposés au Nutri-Score ou à des FOPNL similaires », ce qui constitue « une ligne rouge claire pour le gouvernement ».
L’alternative « Nutrinform Battery »
L’Italie promeut son Nutrinform Battery comme alternative. Ce système affiche, par portion, la contribution de calories, sel, sucres et graisses au régime, plutôt qu’une note globale.
Données scientifiques et efficacité
Validation de la recherche
Le socle scientifique est solide. Un rapport de 2023, signé par 316 scientifiques et professionnels de santé, rassemble des preuves robustes en faveur du Nutri-Score, incluant des études menées sur de nombreuses années dans une vingtaine de pays, avec des cohortes de plus de 500 000 personnes suivies au long cours.
La recherche valide l’algorithme et l’efficacité du logo pour aider les consommateurs à choisir plus sainement. Des études montrent que le Nutri-Score classe correctement les produits au regard des recommandations alimentaires.
Biais de financement
À noter : les études défavorables au Nutri-Score sont 21 fois plus probables lorsqu’un conflit d’intérêts est déclaré ou que l’industrie agroalimentaire finance l’étude.
Compréhension et usage par les consommateurs
La consultation publique de déc. 2021 à mars 2022 a recueilli 65 % de réponses de citoyens de l’UE. L’option visant à fournir « une information sur la valeur nutritionnelle globale à l’aide d’un indicateur gradué » est jugée la plus susceptible de changer les achats : 83 % des universitaires, 72 % des associations de consommateurs, 69 % des citoyens.
Défis actuels de mise en œuvre
Période transitoire complexe
La mise à jour algorithmique complexifie la transition. Les produits mis sur le marché après le 31 décembre 2023 doivent utiliser la nouvelle version, mais les procédures n’ont pas été finalisées simultanément dans tous les pays COEN, créant une fragmentation du marché.
Préoccupations de l’industrie
De grands acteurs ont souligné la complexité du système. Des entreprises, dont récemment Danone, ont pointé des difficultés liées à la logique A-E à cinq couleurs. Les reclassements issus de l’algorithme 2024 ont parfois produit des résultats inattendus, alimentant la frustration.
Contrôle et conformité
Les mécanismes varient selon les pays. En Roumanie, les opérateurs non conformes peuvent voir leurs droits retirés, subir des audits, des sanctions ou des poursuites. L’ANPC (Autorité nationale pour la protection des consommateurs) est le régulateur chargé de la mise en œuvre et du contrôle.
Impact sur la reformulation

Incitations à l’amélioration produit
Les preuves indiquent que le Nutri-Score incite les entreprises à orienter leurs produits vers le vert. Le RIVM a modélisé en 2021 que réduire sucre et sel, ou augmenter des ingrédients positifs comme les légumes dans des plats, améliore la note.
Tendances observées
Des études récentes relèvent des réformulations dans des pays utilisateurs. Aux Pays-Bas, les céréales du petit-déjeuner, conserves de viande et confiseries affichaient moins de sucres et/ou d’AGS en 2020 qu’en 2018. Dans cinq pays européens, les céréales du petit-déjeuner et produits à base de pomme de terre étaient moins salés, et les pains moins sucrés entre 2019 et 2021.
Effets de long terme
L’étiquetage élargi avec le Nutri-Score peut conduire à des produits à plus forte valeur nutritionnelle. Cet effet de reformulation constitue l’un des bénéfices majeurs au-delà de l’information consommateur.
Perspectives et défis
Travaux du Comité scientifique
Le Comité scientifique du Nutri-Score poursuit son mandat d’actualisation de l’algorithme à la lumière des connaissances émergentes. Il conserve le caractère transversal de l’algorithme et ses contraintes, et étudie des améliorations via revues de littérature et analyses de bases de données.
Incertitude politique
Le contexte politique demeure très incertain. Avec l’abandon apparent d’un déploiement obligatoire à l’échelle de l’UE, l’avenir du système dépend des décisions nationales et de la participation volontaire de l’industrie.
Pression associative
Malgré les revers politiques, les organisations de consommateurs continuent de plaider pour l’obligatoire. Foodwatch et d’autres ONG militent pour un étiquetage harmonisé et obligatoire, estimé « la meilleure option pour aider les citoyens à choisir au supermarché ».
Cadre de gouvernance et exigences techniques
Enregistrement
Les entreprises doivent s’enregistrer auprès du titulaire de la marque « Santé publique France » et accepter ses conditions. L’inscription se fait en ligne en cinq étapes, et les entreprises s’engagent à afficher le logo sur toutes les catégories de produits sous les marques enregistrées dans les délais fixés.
Méthode de calcul
L’algorithme mobilise les informations du tableau nutritionnel obligatoire et de la liste d’ingrédients. Les éléments favorables incluent fibres, protéines, proportions de fruits, légumes et légumineuses ; les éléments défavorables incluent sucres, sel, AGS et densité énergétique élevée. Un fichier Excel aide les entreprises à calculer la note.
Gouvernance
Le dispositif repose sur une gouvernance transnationale avec un comité de pilotage composé de représentants des pays participants. Le Comité scientifique, réunissant des experts des pays COEN, œuvre à l’harmonisation d’usage et à l’évolution du système.
En 2025, le Nutri-Score se trouve à la croisée des chemins : une validité scientifique démontrée et un soutien des consommateurs face à une résistance politique et commerciale. Si l’algorithme révisé renforce l’alignement sur les guides alimentaires, l’absence d’obligation à l’échelle de l’UE laisse son avenir tributaire des choix nationaux et de la dynamique volontaire des entreprises. Son évolution reflète les tensions entre santé publique, intérêts économiques et identités alimentaires nationales.